Plus de cent personnes s’étaient données rendez-vous jeudi dernier à la salle du conseil communautaire de Mornant, dans le Rhône, pour une nouvelle conférence organisée par l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant. Un quatrième rendez-vous après les deux conférences organisées à Rodez et celle de Magnac-Laval, en Haute-Vienne, en février dernier, avec Paul François, auteur du livre « Un paysan contre Monsanto ».

Cette fois-ci, le thème retenu était « La faune et la flore au service de l’agriculture et de la santé » et c’est Mathilde Scheuer, pharmacienne de formation, qui présenta tout d’abord l’Association qu’elle anime maintenant depuis près d’un an: « L’association a pour but d’encourager, de défendre et de mettre en avant les techniques d’agriculture permettant, dans le respect de la terre et du vivant, des productions de qualité elles-mêmes gages d’une meilleure santé pour les consommateurs ». Après avoir rappelé que l’Association était membre de l’I4CE, institut dédié à la recherche sur l’économie du climat, et du Club Climat Agriculture, Mathilde Scheuer passait la parole à Jean-Pierre Cellard, apiculteur au sein de la ferme « Le chant des Reines » qui compte 600 ruches.

Les dégâts des néonicotinoïdes sur les abeilles

Apiculteur depuis quarante ans, Jean-Pierre Cellard a d’emblée présenté les trois formes d’apiculture auxquelles il a été confronté au fil de sa carrière : « Dans mon enfance, dans mon village de la vallée du Rhône de 200 habitants, il y avait 10 ruchers de 5 à 10 ruches chacun. C’était une apiculture amateur, avec très peu de pertes annuelles et très peu de maladies. Les dix premières années, il y avait beaucoup d’essaims qu’on trouvait dans la nature. Et puis quand j’avais vingt ans, il y a eu les premières intoxications liées au Décis, un insecticide à base de deltaméthrine utilisé sur le colza. C’était une première alerte. Quand je me suis installé en 86, j’ai eu tout de suite 40 colonies infestées par les varroas, redoutables acariens. Jusque-là, la filière se débrouillait comme elle le pouvait mais à la fin des années 80, les pertes annuelles étaient passées de 15 à 25% avec ce parasite qui nous amenait en plus d’autres virus ».

L’âge d’or de l’apiculture appartenait dès lors au passé et le coup de grâce  allait alors être asséné par l’arrivée massive des néonicotinoïdes, insecticides neurotoxiques qui ont envahi le marché dans les années 90 et qui agissent sur le système nerveux central des insectes : « L’utilisation, entre autres, du Gaucho, pesticide commercialisé par le groupe Bayer, sur le tournesol, a été une catastrophe avec toutes ces abeilles dont le système nerveux est touché, qui ne retrouvent plus la ruche et meurent… Les pertes annuelles peuvent aller de 30 à 100% et nous devons faire face à des molécules de plus en plus complexes. Ajoutez à cela les scarabées et les frelons asiatiques qui commencent à faires des dégâts dans la vallée du Rhône, le constat est terrible. Tellement d’espèces sont menacées par notre folie».

L’état des lieux dressé par Jean-Pierre Cellard fait froid dans le dos même si l’apiculteur croit toujours en un monde meilleur : « Sauver les abeilles, c’est sauver l’humanité ».

Puis ce fut au tour de Pauline Blanquet, docteur en microbiologie et ingénieur au sein du laboratoire créé voici deux ans par Marcel Mézy, de s’adresser au public de Mornant. Au sein du laboratoire de Grioudas dans l’Aveyron, elle travaille entre autres, sur les liens qui existent entre la vie biologique d’un sol et le développement et la qualité des végétaux. Ancienne ingénieure de l’Inra où elle travaillait sur les interactions plantes-bactéries du sol, elle s’intéresse plus particulièrement aujourd’hui à l’impact des pratiques de fertilisation sur la qualité nutritionnelles des aliments. Devant l’auditoire de Mornant, elle s’est avant tout focalisée sur l’importance de la faune et de la microflore du sol, invisibles à l’œil nu mais essentielles pour la biodiversité, l’agriculture et la santé. Après avoir longuement parlé du rôle primordial et encore peu connu des microorganismes, Pauline Blanquet a évoqué les études faites au sein de son laboratoire sur le lien entre la qualité des sols et son impact impressionnant sur les fourrages, les fruits, les légumes ou la viande produits.

Le berger des mésanges

Le troisième intervenant, Gérard Boinon, est paysan retraité, membre fondateur de Rés’OGM info et consultant au conseil des Droits de l’Homme de l’ONU à Genève.

Il a conquis son auditoire en racontant comment les aléas de la vie l’ont fait passé d’une agriculture chimique et industrielle à une agriculture agro-écologique.

Installé en 1972 dans l’Ain, il dit avoir cru à cette « agriculture chimique industrielle» qui « nous a volé le mot « conventionnelle ». On parle aussi de médecine conventionnelle. C’est normal, ce sont les mêmes labos ».
Le ton était donné.

En 1984, un empoisonnement au Décis, un puissant insecticide, lui provoque un urticaire géant et un œdème de Quincke. Victime d’impuissance à 35 ans, alors qu’à 20 ans il pesait 72 kilos pour 1m72, en 2003 il en affichait 135. Crise cardiaque, cancer de la prostate, régime draconien, Gérard Boinon n’a pas baissé les bras et a décidé de reprendre à zéro ses méthodes de travail sur sa « ferme », lui qui récuse maintenant l’appellation « exploitation » : « Je suis parvenu à supprimer les pesticides à 100%. J’ai réglé le problème de la pyrale du maïs avec des petites guêpes trichogrammes. Sur le colza je suis venu aussi à bout du charançon de la tige, de l’altise grâce à un livre trouvé dans le grenier de mon grand-père qui suggérait d’utiliser des mésanges bleues…Pour un hectare trois couples suffisent et vous ne traitez plus chimiquement. J’ai appris à les « transhumer » et je suis passé à zéro pesticides. Certains m’appellent le berger des mésanges… ».

Gérard Boinon a aussi réussi à se passer de 2/3 des fongicides et 80% des herbicides : « Redevenu paysan j’ai aussi replanté les haies que j’avais arrachées lorsque j’étais exploitant agricole… ».

Après avoir expliqué comment il a fini par se passer d’antibiotiques sur son élevage de porcs, et comment il s’est mis à composter ses lisiers, Gérard Boinon a rendu hommage à sa CUMA, lieu de solidarité et de tolérance : « S’arrêter, parler et refaire le monde, ce sont des moments si importants ».

Plusieurs questions du public sont venues compléter cette soirée avant que Michelle Briallon, représentante de l’association sur la région, insiste sur le rôle joué par Marcel Mézy sur la mise en place de cette nouvelle agriculture.

Le mot de la fin est revenu à Mathilde Scheuer qui a tenu à redéfinir les buts de l’association, incitant les personnes présentes à la rejoindre pour changer d’agriculture, pour peser d’avantage face aux industriels du chimique.

Tout le monde s’est ensuite retrouvé autour du pot de l’amitié. Une soirée enrichissante pour tous et qui aura sans aucun doute des prolongements dans ce secteur.

Avant cette conférence, la salle du conseil communautaire de Mornant avait accueilli dans l’après-midi une réunion d’information regroupant une vingtaine d’agriculteurs utilisateurs des technologies Marcel Mézy.

De nombreux sujets ont été abordés notamment le rôle de ces démarches culturales dans la réduction des gaz à effet de serre et la lutte contre le réchauffement climatique. Les économies d’eau, la diminution du lessivage des nitrates, la protection de la santé des agriculteurs et des consommateurs ont également été évoqués avant que Pauline Blanquet, ingénieure au sein du laboratoire Mezagri, parle de la finalité de tous ces travaux qui est entre autres la mise en place d’un label global qui ne se focalise pas sur un seul paramètre. Marcel Mézy, présent à la réunion a tenu à insister sur l’importance de ce laboratoire qui a été « un gros investissement mais qui est un outil indispensable au développement de nos recherches ».

Mathilide Scheuer, animatrice de l’Association, n’a eu de cesse de rappeler le but de l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant qui se veut être « un outil pour fédérer les utilisateurs de ces technologies et permettre une valorisation des productions auprès des consommateurs et des Pouvoirs Publics ». Des flyers vont d’ailleurs être mis à la disposition des adhérents afin de faire mieux connaître l’association.

Un tour de table a permis ensuite de faire plus ample connaissance avec les personnes présentes. Éleveurs bovins, caprins, arboriculteurs, expert agricole, agriculteur stagiaire du Burkina Faso, étudiante, le large panel a entraîné de riches échanges. 

Encore un grand merci à Robert Briallon, arboriculteur à Orliénas et à sa femme Michelle, représentante de l’Association sur cette région, qui ont tout fait pour que cette journée d’information et de conférence dans le Rhône soit un succès.

PATRICK LE ROUX.

 

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