Mathieu Causse, le président de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant, est avant tout un éleveur passionné. Avec son frère Paul, il perpétue une philosophie familiale ancrée depuis toujours dans le respect de la terre, des animaux et dans le souci de la santé des siens et de celle des consommateurs.
Dans les bâtiments aérés et clairs de la ferme de Merlet, à Bozouls, dans le Nord-Aveyron, les 130 mères de race Aubrac semblent passer un hiver bien paisible. Déjà trois mois qu’elles sont redescendues du plateau de l’Aubrac, où, sur 75 hectares à plus de 1200 mètres d’altitude, elles profitent de la belle saison en estive.
Quand il parle de ses bêtes, Mathieu Causse, 43 ans, a l’œil qui pétille. On le sent fier de l’élevage qu’il mène avec Paul, son aîné de trois ans. Déjà près de vingt ans qu’ils sont en GAEC sur l’exploitation familiale de 200 hectares au total, qui a très tôt quitté les rails de l’agriculture conventionnelle : « Nous n’avons jamais connu le productivisme. Notre père et déjà avant lui, notre grand-père, s’y étaient toujours refusés. Ce n’était pas leur philosophie même si cette résistance a eu un coût pour eux. Ils ont toujours voulu préserver d’autres valeurs. Nous avons eu la chance de recevoir une éducation basée sur des principes qui pouvaient sembler rétrogrades mais qui se sont avérés terriblement modernes, avant-gardistes même. La préservation des sols, la santé animale, l’amour de la terre, des animaux, nous avons été bercés avec ces préceptes ».
Mathieu n’aurait jamais songé quitter ce sillon de vie tracé bien avant lui notamment par son père Raymond. Au début des années 80, il y a près de quarante ans, il fut en effet un des pionniers osant contre vents et marées, mettre en pratique les premières ébauches de fertilisation mises au point par Marcel Mézy.
Mathieu et Paul poursuivent l’œuvre esquissée avant eux et ont, au fil des ans, harmonisé leurs pratiques culturales avec l’autonomie en maître-mot. Passés en Bio en 1999, ils privilégient les circuits courts et travaillent avec un magasin de Montpellier qui regroupe sept producteurs: « Nous leur fournissons 80% du bœuf, ce qui fait en moyenne une bête adulte par semaine sur l’année. Les bêtes de réforme non-bouchères partent vers la coopérative Languedoc-Lozère-Viandes, qui alimente le Grand Sud.».
« L’agriculture a un virage historique à négocier »
Mathieu est un observateur privilégié de l’évolution de l’agriculture mais se refuse à verser dans un optimisme béat : « Ces dix dernières années sont porteuses d’espoir car nous sommes de plus en plus nombreux à vouloir accélérer cette mutation essentielle qui vise à produire plus sainement, à se soucier des problèmes environnementaux, de la santé animale et donc, au bout de la chaîne, de sa propre santé et de la santé des consommateurs. Je sens que quelque chose s’est enclenché mais j’ai encore du mal à voir le bout du tunnel ».
Mathieu Causse en est convaincu, ce sont les consommateurs qui dans l’avenir seront le fer de lance de ces avancées, c’est par eux que passe la prise de conscience sur ces enjeux essentiels : « Le consommateur est notre plus grand atout à un moment où l’agriculture a un virage historique à négocier ».
La prise de conscience est en marche et rien ne l’arrêtera, l’éleveur aveyronnais en est persuadé. Il sait par contre qu’il travaille avant tout pour les générations à venir : « Ce que nous pouvons initier aujourd’hui ne changera pas la donne immédiatement et l’évolution rapide du climat m’inquiète vraiment. Elle va avoir un impact qui peut être catastrophique. Nous avons tout fait depuis des années pour être autonomes en fourrages, en protéines, pour ne pas avoir d’achats extérieurs à faire. Tout peut être remis en question par des années blanches où il manquera 80% de la production à cause de la sécheresse et des autres aléas climatiques. Si nous ne produisons pas dans de bonnes conditions, les céréales qui composent le mélange nécessaire pour l’engraissement de nos animaux, la compensation peut coûter une fortune. C’est arrivé en 2003 ».
L’année 2017 aura été correcte au niveau des cultures sur la ferme de Merlet : « Nous avons eu la chance d’avoir les bons orages aux bons moments. A l’automne, nous avons eu de l’herbe et nous avons pu faire des coupes supplémentaires. Mais à 30 kilomètres d’ici, ça a été une catastrophe. Ils n’ont pas eu cette pluie, le versant Est du Massif Central a terriblement souffert de cette sécheresse. L’adaptation au climat sera le prochain défi à relever ».
Sous la bannière de l’autonomie
Il y a deux ans, au printemps 2016, c’est tout naturellement vers Mathieu Causse qu’ont convergé les regards lors de la création de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant, enfant turbulent des Technologies Marcel Mézy et de la SOBAC. Mathieu avait toute la légitimité pour en prendre la présidence : « Il faut faire comprendre aux agriculteurs et au grand public, que le slogan « Du Sol à l’Assiette » résume parfaitement notre combat et que nous avons une réponse formidable à apporter. Marcel Mézy est un pionnier de génie et il est temps maintenant qu’il fasse des émules dans le milieu de la recherche fondamentale à travers de grandes institutions comme l’INRA ».
Le président Mathieu Causse mesure l’ampleur de la tâche qui est la sienne : « Quand je vois l’engouement qu’a suscité notre association, notamment lors de la conférence de novembre dernier à l’amphithéâtre de Rodez où plus de huit cents personnes ont écouté d’éminents spécialistes dérouler cette thématique « Du sol à l’assiette », il y a des raisons d’y croire. Nous sommes dans une région préservée et ailleurs, en milieu urbain ou dans des régions d’agriculture intensive, il doit y avoir encore plus d’attentes. Il faut qu’on soit en mesure d’y répondre et qu’on multiplie ce genre de conférences un peu partout en France. C’est notre plus gros challenge ».
Pour Mathieu Causse, Marcel Mézy est le chef de file d’une révolution agricole : « Le postulat posé par Marcel bouscule quand même toutes les idées reçues : Comment éviter l’utilisation des énergies fossiles tout en ayant une agriculture qui soit compétitive et propre.
Grâce à lui, j’ai la fierté de faire ce métier sans polluer, sans mettre en danger la santé d’autrui et d’entretenir l’espace dans lequel j’exerce mon activité. J’ai la chance de faire à travers ce métier des rencontres d’une grande richesse avec des gens qui partagent la même philosophie. Et tout cela sous la bannière de l’autonomie : autonomie intellectuelle, autonomie financière, fourragère, autonomie dans toutes nos prises de décision ».
« Le socle s’est élargi, fortifié »
Plusieurs signes entretiennent l’espoir chez cet éleveur parti depuis longtemps en croisade pour une autre agriculture : « Je sens beaucoup d’envie et d’énergie chez la nouvelle génération. Le socle s’est élargi, fortifié, il s’autoalimente. On ne peut plus nous ignorer et notre place grandit chaque jour. Il y a d’ailleurs moins d’animosité, moins d’agressivité affichée dans le monde institutionnel. Dans les coopératives, c’est tout l’un ou tout l’autre : soit une ouverture constructive, soit un repli stérile. Mais ne soyons pas naïfs : ceux qui veulent s’émanciper du carcan dans lequel on les a maintenus depuis si longtemps, sont encore souvent montrés du doigt ».
En accord avec sa philosophie de vie sur son exploitation, Mathieu Causse veut aussi commencer à transmettre son savoir et ses convictions. L’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant lui en donne la plus belle opportunité : « La machine est lancée. Un jour on pourra transmettre le flambeau sans souci. Je rêve du jour où le monde agricole utilisera de façon massive cet autre mode de fertilisation, tremplin pour une émancipation des agriculteurs ».
« EN 2018, NOUS DEVONS ENCORE FRANCHIR UN PALIER »
Clin d’œil au président de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant, en cette année 2018 c’est « Haute », Aubrac d’à peine six ans de l’élevage de Thibault et Florence Dijols à Curières, sur les contreforts de l’Aubrac, qui est l’égérie du Salon de l’Agriculture. Elle a grandi sur un territoire depuis longtemps fertilisé avec les technologies Marcel Mézy. Mathieu Causse y voit une énorme reconnaissance : « C’est d’abord une reconnaissance pour cette race qui avait failli disparaître dans les années 70 et qui affiche aujourd’hui la plus grosse progression en race allaitante au niveau national. Et pour nous tous qui avons un jour décidé de quitter une voie toute tracée, c’est aussi un vrai encouragement, une confirmation du bon choix que nous avons fait. Mais il ne faut s’arrêter en si bon chemin. En 2018, nous devons encore franchir un palier».