Dans leur ferme de Plagnes, à Trélans, à plus de 1200 mètres d’altitude, Bertrand et Christine Cayrel vivent leur passion de l’élevage dans le respect de la terre et des animaux. Vice-président de l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant et maire de son village, Bertrand croit aux valeurs essentielles : l’échange, la transmission, la solidarité et le partage.
Du haut de ses 1469 mètres, le signal de Mailhebiau, point culminant de l’Aubrac, veille sur la ferme de Plagnes, dans un décor sauvage que rien ne vient troubler si ce n’est le tintement d’une cloche colporté par le vent au milieu des pâturages d’altitude. A l’abri des vieux murs de cette grange monastique du XIIIe siècle, ancienne dépendance des moines d’Aubrac, Bertrand Cayrel, 53 ans, et sa femme Christine, aiment à en raconter l’histoire.
Un siècle déjà que la famille Cayrel s’est installée ici, sur la commune de Trélans, en Lozère. Sur la table familiale, les livres de comptes de 1917 précieusement conservés, égrènent au jour le jour, la dure vie de labeur des grands-parents, régisseurs de la ferme avant d’en devenir propriétaires en 1920. Le père de Bertrand prit tout naturellement la suite avant que Bertrand ne reprenne le flambeau en 1985, d’abord avec son frère, de dix ans son aîné.
Aujourd’hui, c’est avec sa femme Christine, infirmière pendant vingt ans, qu’il veille sur les 195 hectares de l’exploitation toute tournée vers l’élevage avec 65 mères de race limousine : « Papa avait un troupeau de vaches croisées Aubrac et Charolais mais moi, je voulais une race pure. Ça aurait pu être des Aubrac mais au cours d’un voyage, je suis tombé sous le charme de la race Limousine. Avec les éleveurs, j’y ai surtout trouvé une grande famille avec des valeurs qui me parlaient, un peu comme avec la Sobac quelques années plus tard ».
« Marcel Mézy est un extraterrestre!»
Dès son installation, Bertrand, vice-président de l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant, se pose des questions sur ses pratiques culturales : « Pour moi c’était une hérésie de « jeter » le fumier comme on disait, sans chercher à le valoriser et à côté de cela, on achetait du chimique ».
Le destin allait lui apporter une réponse. Un jour de 1991, alors qu’il coule les fondations d’un nouveau bâtiment, il voit s’arrêter à sa hauteur un automobiliste égaré qui lui demande sa route. La discussion s’engage. Le chauffeur de la voiture n’est autre que Patrick Fabre, futur co-gérant de la Sobac qui lui parle de Marcel Mézy. Bertrand Cayrel ne sait pas encore qu’il vient de trouver la solution à ses interrogations.
Vingt-sept ans déjà qu’il a quitté les rails de l’agriculture conventionnelle, rassuré au départ par les conseils de son cousin germain, Xavier Aigoui, éleveur ovin en Aveyron, adepte avant lui des technologies Marcel Mézy : « En sortant d’un chemin tout tracé, au départ on m’a pris pour un marginal. Nous n’étions pas nombreux à le faire. On doute forcément et il faut être costaud dans sa tête pour résister. Avec le recul, je pense que ces moments difficiles ont en fait été un atout pour la suite. On en sort plus fort ».
Au fil des années, Bertrand Cayrel affine ses pratiques, observe, écoute, vante les prairies dix plantes, le méteil à ses collègues éleveurs, redécouvre un autre métier, tellement plus proche de ses convictions profondes : « La Chambre d’Agriculture se moquait alors de ce qu’elle prône aujourd’hui. Moi, j’ai vite senti que j’étais en harmonie avec les valeurs qui étaient ancrées au plus profond de moi-même ».
La rencontre avec Marcel Mézy fut aussi un moment décisif : « Marcel Mézy est un extraterrestre!. Il a tout compris avant tout le monde. Il est déconcertant. Je suis tellement admiratif… Aujourd’hui encore, je bois ses paroles. Chaque fois que je le vois, j’apprends quelque chose. Et avec lui, je suis persuadé que nous ne sommes pas au bout de nos surprises ».
Depuis vingt ans, on pratique la vente directe à la ferme des Plagnes, un moment de grande convivialité pour Christine: « J’étais la plus inquiète quand nous nous sommes lancés dans l’aventure proposée par Marcel Mézy. Quelle récompense aujourd’hui lorsqu’on explique aux consommateurs notre façon de travailler. Nous prônons le naturel, le respect de la nature, de nos animaux ». Avec son passé d’infirmière, Christine est très vigilante sur l’utilisation des antibiotiques, les produits phytosanitaires et les préventions en tout genre : « Avec Bertrand, nous sommes tellement fiers de faire partie de cette grande famille d’agriculteurs qui ont pris le même virage que nous. Nous revendiquons haut et fort notre singularité. Après, savoir que Marcel Mézy est à la Cop21 à Paris, Cop22 à Marrakech ou Cop23 en 2017 à Bonn, c’est une grande fierté pour nous, une reconnaissance énorme ».
Une vie de rencontres et d’échanges
Le silence et la beauté de ce coin de Lozère prêtent à la réflexion et à l’introspection. En 2015, après deux ans de travaux, Christine et Bertrand ont ouvert leur gîte du Carteyrou, un magnifique buron à l’orée d’une forêt de hêtres au milieu des pâturages. Une pierre de plus à cette construction intellectuelle qu’ils ont voulue, faite de rencontres et d’échanges. Christine : « Des gens de tous horizons viennent y séjourner, beaucoup de citadins en quête de repos et d’authenticité. Quand on leur parle de notre façon de travailler, de notre sortie des intrants chimiques depuis plus d’un quart de siècle, de notre respect de la terre et des animaux, je sens qu’il se passe quelque chose. Il m’arrive d’être très émue quand je vois à quel point ils sont en attente de ce genre de concept. Certains nous disent : « Vous avez tout compris ». C’est la plus belle récompense qu’ils puissent nous faire ».
Si la transmission est pleinement assurée depuis plus d’un siècle dans la famille Cayrel, Bertrand a voulu y ajouter d’autres valeurs qui lui tiennent à cœur. Depuis neuf ans maintenant, il est le maire de Trélans, petite commune lozérienne d’une centaine d’habitants. Comme il dit en souriant, « pas de plan de carrière » mais seulement l’envie de rendre service : « On abandonne nos campagnes et ça me rend malade. Je me suis battu pendant trois ans pour qu’on ait le ramassage scolaire. Ma mission est de rendre service parce qu’à un moment donné il y a sûrement quelqu’un qui m’a aidé et c’est donc un juste retour des choses. C’est dur d’être isolé et quand tu es responsable, tu n’as pas le droit de lâcher prise ».
A ses côtés, Christine est toujours là, prête à prendre le relais et à insuffler un nouvel élan : « Au fil des années j’ai éprouvé le besoin de pousser à ce qu’on se fédère entre gens qui partageaient la même philosophie. C’était une envie de reconnaissance mais aussi de partage ».
L’idée d’une association a mûri doucement, complément naturel à un engagement pour la planète et un monde meilleur. Bertrand et Christine y ont été pour beaucoup : « Ça fait longtemps que je témoignais de mes pratiques culturales auprès des exploitants agricoles lors de concours agricoles ou avec Patrick Fabre lors de tournées dans des fermes de Lozère. J’avais juste envie d’aller plus loin, que les utilisateurs des procédés Marcel Mézy se connaissent, prennent le temps d’échanger. J’ai toujours été persuadé qu’à plusieurs on est plus fort. Christine y croit autant sinon plus que moi».
L’association « Pour la Santé de la Terre et du Vivant » a connu un démarrage fulgurant avec deux conférences qui ont drainé plus de 800 personnes chacune. Mais Bertrand pense qu’il faut continuer à consolider les bases mêmes du mouvement : « C’est parti très vite et depuis la conférence de l’automne dernier, je sens du positif. L’arrivée de Mathilde comme coordinatrice de l’association y est pour beaucoup. Maintenant il faut s’ouvrir encore plus. C’est sa diversité qui en fera sa richesse. Si elle ne regroupe que des agriculteurs, ce sera un échec. L’ouverture à la société civile est un impératif incontournable ».
Travailler avec les enfants des écoles primaires
Christine milite pour une agriculture qui se doit d’apporter des garanties sanitaires et elle sent que la donne est en train de changer : « Avec les technologies Marcel Mézy, c’est l’agriculture de tout un pays qui se met à réfléchir et l’association permet de fédérer tous ces gens et d’être la passerelle vers les consommateurs qui sont aujourd’hui des interlocuteurs privilégiés ».
Bertrand pense déjà aux futures actions concrètes à mener : « Il faut que nous travaillions avec les enfants du primaire. C’est à eux qu’il faut faire passer le message, leur faire comprendre que leur propre santé dépend avant tout de la santé de la terre, de celle des animaux et des cultures ».
Après avoir été infirmière, Christine vit maintenant avec passion son nouveau métier, elle qui adore le contact avec les animaux. Bertrand, lui, exclut aujourd’hui tout retour en arrière : « Je préfèrerais arrêter mon métier tout de suite ».
Leur grande satisfaction aujourd’hui, c’est de voir leurs trois enfants adhérer complètement à leur démarche. Claire, 27 ans, compagne d’Antoine qui sur son exploitation travaille avec les technologies Marcel Mézy, Mathilde, 28 ans, institutrice en Lozère et son mari Guillaume, et la petite dernière, Camille, 21 ans, qui cherche encore sa voie mais laisse la porte entrouverte : « J’aimerais bien un jour reprendre le flambeau ».
Bertrand voit déjà plus loin: « Dans deux ans, je ne me représenterai pas pour être maire. J’ai une très haute idée de la démocratie et un mandat comme le mien, c’est quelque chose qu’on te confie, pas quelque chose que tu achètes. On te confie une mission et un jour il faut savoir passer la main. Je pourrai alors me consacrer plus à l’Association Pour la Santé de la terre et du Vivant qui me tient tellement à cœur ».
Il espère alors connaître les premières avancées concrètes obtenues par cet inlassable travail sur le terrain : « La vraie reconnaissance pour tous ces gens qui travaillent dans le respect de la nature et de la terre, ce sera quand l’Europe prendra en compte notre engagement pour la réduction des gaz à effets de serre ou notre bilan carbone bien meilleur que dans la plupart des cas. Ça passera par des labels ou des mesures prises lors des prochaines PAC, enfin je l’espère».
Dans leur ferme de Plagnes, à Trélans, Bertrand et Christine ont encore les plus belles pages de leur histoire à écrire, une histoire toute entière dédiée à la santé de la terre et du vivant.