Eric Brunel, 47 ans, vit à plus 1260 mètres d’altitude, en totale harmonie avec son troupeau Aubrac. Épris de liberté, il ne supporte plus les carcans syndicaux ou politiques et compte beaucoup sur l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant, pour faire avancer les choses.

Eric Brunel en parlerait pendant des heures de son installation sur la ferme familiale au milieu des années 90. Le GAEC avec les parents, là-haut, à Fenestre, sur la commune de Saint-Paul-le Froid en Lozère, les moments de doute et ces nuits passées à pleurer dans l’étable au milieu de ses Aubrac quand il pensait devoir être obligé de les quitter en raison des dissensions familiales. Aujourd’hui, il est le plus heureux des hommes sur ses 245 hectares qui se déroulent d’un seul tenant sous ses yeux  entre 1200 et 1480 mètres d’altitude.

Dès son installation il a fait connaissance avec les technologies Marcel Mézy et en mai 2019, à la fin de sa conversion, il sera en Bio.

Il mène son exploitation en s’efforçant d’être le plus proche possible de sa philosophie de vie. Sapeur-pompier volontaire, il érige la solidarité en principe fondamental : « Quand tu t’installes, tu vas normalement vers les Jeunes Agriculteurs mais je n’y trouvais pas l’état d’esprit que je recherchais. Tu vas vers un syndicat parce que tu veux défendre ton business. Les J.A, la FNSEA sont au pouvoir mais je continue de voir le monde agricole en déclin. Il faut pourtant qu’on ait un poids par rapport à la PAC, à l’Europe ».

La nécessaire solidarité lui a fait un moment prendre un autre chemin : « J’ai voulu défendre un pote qui était en BTS avec moi. Il avait planté plus de 100 hectares de maïs semences Bio dans la Drôme et quand il a fait des analyses, son maïs contenait des OGM à cause d’un voisin qui travaillait ainsi et qui l’avait contaminé. Il est naturellement devenu faucheur volontaire avec la Confédération Paysanne. Je suis allé le défendre à son procès à Grenoble, épaule contre épaule avec José Bové face aux CRS. Je ne regrette rien mais je déplore que quand tu es dans l’action, il faut qu’on te colle une étiquette politique de droite ou de gauche. Ça ne devrait pas être comme cela. La solidarité ne devrait pas avoir de couleur politique ».

Eric Brunel tient avant tout à sa liberté de mouvement et de parole et chez les Bio, il a été confronté aux mêmes schémas : « Étant en conversion, je suis allé un soir à la réunion d’une association Bio. J’y ai entendu des phrases hallucinantes, du genre : « Le Bio c’est une niche et il faut que ça reste une niche si on ne veut pas voir tous les prix baisser ». Alors que moi, mon rêve, ce serait qu’un jour tous les agriculteurs de Lozère soient Bio, que nous soyons le premier département français 100% Bio. Ça aurait un impact incroyable. Je ne m’attendais tellement pas à entendre ce genre de propos…».

Plus de vingt ans pourtant qu’il fait progresser la qualité de ses pâtures : « A partir de 1999, je suis devenu autonome en foin avec 100 UGB et 70 vêlages par an. J’ai augmenté en herbe que ce soit en quantitatif ou en qualitatif. Maintenant l’hiver, j’ai 140 bêtes à l’étable et je m’en sors. Les technologies  Marcel Mézy permettent de mieux affronter les problèmes climatiques. Ça lisse énormément les rendements d’une année sur l’autre. Il faut faire avec le milieu dans lequel on vit. Chez nous l’herbe pousse. Il faut donc la faire pousser le mieux possible. J’ai un fourrage qui a énormément gagné en variété et il suffit de voir le comportement du troupeau pour savoir qu’on est dans la bonne direction.».

« Sortir de ce discours fataliste »

Quand l’Association Pour la Santé de la Terre et du Vivant s’est créée, Eric Brunel a été un des premiers à la rejoindre : « Grâce à l’Association, je revis. Je me dis qu’on va pouvoir être crédibles face aux politiques. C’est le rassemblement de gens de toutes tendances, de tous horizons, qui croient en leur métier, en leurs pratiques, en leur terre. Ils ont en commun d’avoir tout posé à un moment de leur vie pour réfléchir à l’avenir.Ils partagent une autre vision de l’agriculture mais ils tiennent à garder leur liberté. Nous sommes réunis par le Vivant, par un même respect de notre terre, sans aucune arrière-pensée. J’ai enfin trouvé la structure dans laquelle je me reconnais ».

Au-delà des appellations, c’est tout un état d’esprit que le sélectionneur Aubrac veut défendre : « J’ai des amis vignerons qui ne boivent plus leur vin. Il y a des Bio qui cette année sont à plus de 10 passages de cuivre sur leurs parcelles. Ça contient des métaux lourds quand même… Je pense que l’Association est dans le même esprit que le mien et c’est pour cela que nous séduisons les consommateurs. On n’est pas là pour jouer sur les mots mais pour avancer à visage découvert vers une agriculture raisonnable qui nourrira les paysans et conviendra à la demande des  consommateurs. J’ai le sentiment que nous avons la France avec nous et que notre démarche est vraiment en train de prendre ».

S’il est pompier volontaire toute l’année, Eric Brunel est aussi moniteur de ski de fond l’hiver, à la Baraque des Bouviers, la petite station de ski nordique à quelques kilomètres de la ferme : « TF1 est venu l’hiver dernier tourner un sujet sur la vie à la campagne avec la neige. Ils sont allés aux Bouviers, à la réserve de Bisons de Sainte-Eulalie en Margeride et sur ma ferme. J’ai eu le malheur de dire que quand les vaches  sont à l’intérieur je n’ai du travail que le matin et le soir et que dans la journée je peux m’adonner à ma passion, à savoir enseigner le ski de fond. Je leur ai dit que mon bonheur absolu c’était de voir un petit veau qui venait de naître et qui était en train de téter et de partir ensuite pratiquer ma passion sur les skis. Rien n’est plus beau pour moi. Le milieu paysan m’est tombé dessus en me disant que c’était inadmissible de dire que l’hiver on est quasiment en vacances. Moi justement je veux sortir de ce discours fataliste où on ne parle que des suicides d’agriculteurs – qui sont une réalité que je ne nie pas-,  du travail mal rémunéré et des quelques jours de vacances annuels. J’ai pris le problème à bras le corps et je prouve qu’il est possible de faire autrement ».

« Paysan et fier de l’être »

Eric se refuse à stigmatiser ceux qui ont pris un autre chemin que le sien. Il ne demande qu’à dialoguer avec eux : « Au début je trouvais l’appellation de l’Association un peu pompeuse mais en fait ça parle bien aux gens. J’ai adoré l’assemblée générale, la richesse des échanges qui s’installent avec le public. Ça va bien au delà de notre propre business. C’est important qu’elle s’ouvre sur la société civile. L’association, elle va grandir. Un enfant il faut qu’il marche avant de courir. J’ai mis un panneau signalant que je suis adhérent de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant en bordure de route, pour que les gens puissent s’arrêter pour le lire et prendre le temps de me poser des questions sur ma façon de travailler s’ils le désirent. J’en suis tellement fier aujourd’hui ».

S’il est fier de l’outil qu’il n’a eu de cesse de bonifier depuis maintenant deux décennies, Eric espère bien le transmettre un jour : « Je ne mets aucune pression à mon fils Raphaël qui a 18 ans. Je veux simplement qu’il passe son BTS à Villefranche. J’ai passé le mien à Aubenas et ces deux années m’ont construit. Elles m’ont donné une ouverture d’esprit que je n’aurais pas eue autrement. J’étais au milieu des vignobles et des arboriculteurs. C’était un monde si différent. Je pense que Raphaël évoluera dans mon sens. Même si ses copains baignent pour la plupart dans le conventionnel, quand il voit une tête de mort sur un produit agricole, il se dit simplement que ce n’est pas possible». 

Eric porte fièrement son T-shirt « Paysan et fier de l’être ». Il revendique haut et fort son statut : « Marcel Mézy m’a fait communier avec la nature, je me la suis réappropriée. Maintenant je suis un paysan alors qu’avant j’étais un ouvrier de la chimie. Marcel Mézy, il n’est pas descriptible. Je ne trouve pas les mots. Altruiste génial, c’est la première expression qui me vient. Il se sert de l’argent qu’il génère pour aider les paysans à mieux vivre. Chez les sapeurs-pompiers, je donne de mon temps aux autres. Marcel Mézy a donné sa vie pour une cause ».

Eric Brunel croit dur comme fer à l’envol de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant : « Ce que j’attends c’est qu’elle ait un tel poids en adhérents que les pouvoirs de gouvernance se sentent obligés de la consulter avant de prendre de grandes décisions ».

 

Patrick Le Roux

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