A soixante ans, Alain Mazars déborde de projets, porté par sa réussite professionnelle et sa fierté légitime d’avoir pérennisé quatre emplois sur son exploitation de Camboulazet, sur le Ségala aveyronnais.
Fromager reconnu, il transforme aujourd’hui sur place les 500 000 litres produits sur son exploitation. Et il croit dur comme fer à l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant, « super maillon entre les agriculteurs, les consommateurs et les Technologies Marcel Mézy.»
Ils s’appellent le Cambou, l’Estourade, le Peïrou, le Cent Vallées, le Pavé Toulousain et ils cohabitent avec bonheur sur les clayettes des chambres froides avec la tome fraîche pour aligot, la tome fermière affinée de quatre à six mois et depuis cette année avec le fromage à raclette. Alain Mazars se fait un plaisir de présenter aux visiteurs ses créations fromagères, lui qui a démarré en 1978, à 20 ans, sur les 22 hectares de l’exploitation familiale alors tournée vers la polyculture élevage, à Camboulazet dans le Ségala aveyronnais. Aujourd’hui, le troupeau de 75 laitières de races Monbéliarde, Simmental et Frisonne pâture sur près de 70 hectares de prairies naturelles et de mélange dix plantes, les 40 hectares restant étant en maïs, méteil pour la moisson et méteil-fourrage. Et les 500 000 litres de lait produits sont transformés sur place.
Alain Mazars a vite su qu’il ne resterait pas longtemps dans les rails tout tracés de l’agriculture conventionnelle : « Je ne pouvais envisager une vie professionnelle au cours de laquelle je ne serais que spectateur d’un destin écrit à l’avance. Je ne supportais pas de ne rien maîtriser ni en amont par rapport aux semences, aux intrants ou au climat ni en aval par rapport à des prix imposés par nos décideurs. »
Déjà pendant ses études, lors d’un stage dans une exploitation bretonne, certaines valeurs s’étaient inconsciemment ancrées au plus profond de lui. Sur un Gaec d’élevage laitier et de vergers d’Ille et Vilaine, il s’était retrouvé à s’occuper des pommiers et à gérer la vente directe des pommes. Une première approche vers les circuits courts…
« On a simplement perdu le fil de notre histoire »
Dès 1985, après s’être spécialisé dans le lait de vache, Alain se lance tout seul dans la transformation d’une partie de son lait : « Au départ c’était peut-être 50 ou 100 litres que je transformais par semaine et je livrais mes fromages à la supérette du coin. Je n’ai rien inventé, dans les burons on avait fait cela pendant des générations. On a simplement perdu le fil de l’histoire, de notre histoire. Au départ vis-à-vis du monde agricole dans son ensemble, j’avais vraiment le sentiment d’être un marginal».
Dans la période 1986/87, un de ses copains fromager pose deux ans de disponibilité dans son entreprise pour créer sa propre fromagerie. Une mauvaise qualité du lait acheté l’a obligé à cesser son activité. Avant qu’il ne reparte à son travail d’origine, Alain Mazars le prend pendant ses six derniers mois à ses côtés : « Je lui ai racheté du matériel et il m’a tout appris du métier de fromager, tous les fondamentaux de la transformation fromagère. Ça ne s’improvise pas. »
Il dit avoir forgé sa conscience écologique il y a 15 ou 20 ans après avoir pris conscience des effets dévastateurs de ses pratiques culturales et entendu des récits alarmistes de maladies qu’on ne pouvait plus cacher : « On n’avait pas assez réfléchi, on ne cherchait pas à comprendre. J’ai alors décidé de prendre mon bâton de pèlerin ».
Les technologies Marcel Mézy lui permettent alors de nourrir sa réflexion : « L’idée d’ensemencer mes lisiers et fumiers avec des microorganismes pour faire travailler les sols correctement, ça m’a tout de suite parlé. La valorisation des déjections animales, ça a été un premier pas vers une réflexion beaucoup plus large. Travailler avec des prairies dix plantes, du méteil qui captent l’azote de l’air pour le restituer au final à la plante, ce n’est que bon sens en fait. Quand je pense au maïs- Ray Grass intensif que je faisais avant et qui me menait droit au casse-pipe…
Les technologies Marcel Mézy, c’est toute une réflexion qui reprend l’agriculture dans sa globalité. C’est une autre façon de travailler. On revient vers la nature qui reprend ses droits.
On a fait croire aux agriculteurs qu’ils étaient là pour nourrir la planète. Moi je pense que chaque continent peut s’auto-suffire à condition qu’on n’aille pas les piller comme c’est le cas depuis tant de décennies ».
« J’ai simplement prouvé qu’on pouvait vivre de notre métier »
« Cela n’a pas été toujours facile de nager à contre-courant d’un système conventionnel dicté par les lobbyings agricoles.
Le Cambou a été mon premier fromage en 1985. J’ai embauché une personne, deux personnes. Aujourd’hui j’ai quatre salariés, nous sommes cinq familles à vivre sur ces 110 hectares et on ne me dit plus rien. J’ai simplement prouvé qu’on pouvait vivre de notre métier. On bouscule beaucoup de pratiques formatées et on remet en cause trop de préceptes qui semblaient immuables ».
Olivier, Nathalie, Julien et Louis, les quatre salariés de l’exploitation, ont entre six et vingt-neuf années d’ancienneté : « Il y a une grande motivation entre nous. Nous discutons beaucoup, je crois à la richesse de la participation. »
Alain Mazars est un sportif, un homme de défi et de dépassement. Au fil des années, c’est lui qui a mis de façon indépendante en place son réseau commercial. A travers lui et ses revendeurs, c’est tout le territoire français qui est quadrillé, de Niort à Agen en passant par Toulouse ou Montpellier sans oublier la région parisienne et le marché de Rungis : « Il y a quelques années j’ai vendu quelques produits à la Crèmerie Xavier à Toulouse, une des grandes adresses d’Occitanie chez les fromagers. Un jour François, le fils, meilleur ouvrier de France en 2011, m’a demandé de créer un produit rien que pour lui, un cube de neuf centimètres par neuf centimètres. J’ai essayé et ça a marché. Le Pavé Toulousain était né et c’est un succès ». Sur son site internet, François parle du pavé Toulousain en termes élogieux : « Une texture fondante et aux arômes intenses. »
Alain Mazars apprécie la reconnaissance de son client, aboutissement d’une remise en question qui a été totale, jusqu’à la mise en place, en 2011, du séchage du foin en grange, une pratique venue des zones fromagères que sont la Suisse, l’Autriche, la Savoie ou le Jura. Alain Mazars en est particulièrement fier : « C’est la plus belle évolution de ces dernières années. Je voulais arrêter l’ensilage d’herbe et récolter le foin naturellement. Avec cette technique de séchage, le foin garde toutes ses valeurs et est beaucoup plus riche. En plus c’est d’une grande facilité de travail. Je n’y vois que des avantages. Les deux tiers de la ration sont en foin de séchage et je pense que je n’aurais pas ces arômes dans un pavé Toulousain vieilli dix mois si je n’avais pas cette qualité de fourrage ».
Aujourd’hui Alain Mazars est en conversion Bio, une suite logique de son évolution: « Pour moi, le passage en Bio, c’est simplement formaliser ce que je suis depuis longtemps. Ça ne change vraiment pas grand chose pour moi qui a mal à la tête rien qu’à voir passer un pulvérisateur. Ça va vous sembler caricatural mais j’ai été marqué par la différence d’expression des visages dans une réunion de producteurs Bio par rapport à une réunion d’agriculteurs en conventionnel. D’un côté c’est détendu, serein alors que de l’autre on sent toute la tension, la pression imposée par l’extérieur. »
« Réinventer un autre système de société »
Cette année, lors de l’assemblée générale de l’Association pour la Santé de la Terre et du Vivant, à Manzat dans le Puy-de-Dôme, Alain Mazars avait fait le déplacement avec ses fromages pour montrer son attachement aux valeurs portées par l’Association : « C’est un super maillon entre les agriculteurs, les consommateurs et les Technologies Marcel Mézy. Montrer qu’il y a d’autres systèmes pour produire sainement et bien gagner sa vie. Si on a une plante saine, bien nourrie par un sol en harmonie, nous n’avons pas besoin de tout ce qu’on nous propose. Il faut reprendre le problème à la base, obliger les autres à réfléchir même si c’est dérangeant. »
Il sait que la route est encore longue : « J’ai reçu une école sur l’exploitation il y a quelque temps. Les deux professeurs m’ont dit : Merci, vous leur avez dit ce que nous n’avons pas le droit de dire…»
Alain Mazars fait sienne la phrase de Saint-Exupéry : « Nous n’héritons pas de la terre de nos parents, nous l’empruntons à nos enfants. » Le fromager de Camboulazet est persuadé d’une chose : « Il y a une prise de conscience qui se fait jour. Le changement ne viendra pas du haut, il ne faut rien attendre des politiques. Il viendra du terrain. C’est à nous de poser les vraies questions. »
Pour lui, l’association peut jouer un rôle à ce niveau : « Il faut donner au monde agricole les armes pour mettre en route cette réflexion. S’il se remet à réfléchir par lui même, alors l’agriculteur reviendra aux fondamentaux. Après ce sera à nos enfants de réinventer un autre système de société. »
Alain Mazars a toujours un fer au feu : « Continuer à améliorer mes produits, être toujours en recherche, être vigilant sur les semences, ce n’est pas le travail qui manque. Ça me plairait de recultiver mes semences, d’aller aussi vers cette autonomie. Oui, j’ai le sentiment d’incarner l’agriculture de demain. L’association doit aider les agriculteurs à réfléchir par eux-mêmes. »
Alain Mazars, homme discret, se fait violence pour parler de lui mais le message est trop important : « C’est possible de faire autrement. Je suis fier d’avoir créé des emplois et de voir cinq familles vivre sur l’exploitation. J’ai trouvé l’harmonie et la tranquillité. Je me sens en accord avec moi-même. Et ça, ça n’a pas de prix. »
Patrick Le Roux